Immanquablement, deux fois par jour et depuis plusieurs semaines, le ciel de Douchanbé résonne du grondement des réacteurs Snecma M88 des Rafale qui partent effectuer des missions sur l’Afghanistan voisin…
Si les militaires français sont présents au Tadjikistan depuis maintenant cinq ans en soutien de l’opération Enduring Freedom, il n’en va pas de même des Rafale F2 qui eux sont arrivés sur ce théâtre pour la première fois à la mi mars 2007, quelques jours avant le début du printemps. Nouvel avion de combat emblématique de l’armée de l’Air, le Rafale standard F2 omnirôle fait donc cette année son entrée officielle sur un théâtre d’opérations extérieures, enmême temps d’ailleurs que son alter ego de la Marine opérant depuis le pont du porte-avions Charles-de-Gaulle en océan Indien. Au total, six Rafale F2 sont engagés de façon opérationnelle en Asie centrale pour valider le nouvel avion en combat : troismonoplaces RafaleM/F2 par la Marine nationale (flottille 12F) depuis le porteavions, et trois biplaces Rafale B/F2 par l’armée de l’Air (escadron de chasse 1/7 « Provence ») depuis l’aéroport international de Douchanbé.
Ces derniers sont venus muscler le dispositif Serpentaire stationné au Tadjikistan, un détachement désormais sur place de manière permanente. Constitué essentiellement de trois chasseurs-bombardiers Mirage 2000D de la base aérienne 133 de Nancy-Ochey, renforcés de façon saisonnière par trois Mirage F1CR de reconnaissance de la base aérienne 112 de Reims, le dispositif Serpentaire participemaintenant depuis cinq ans au soutien aérien rapproché des forces alliées engagées contre les Talibans sur le sol afghan.
Si les Mirage 2000D ont assuré avec régularité cette mission depuis l’origine, d’abord depuis Manas au Kirgizistan, puis depuis Douchanbé au Tadjikistan, l’arrivée des premiers Rafale B/F2 va donner plus de force aux frappes françaises. En effet, si le Mirage 2000D peut emporter deux bombes guidées laser GBU-12 de 250 kg, le Rafale, lui, en emporte quatre, et au besoin six.
BAPTÊME DU FEU
Arrivés en Asie centrale après une escale technique au détachement aérien 188 de Djibouti, les trois Rafale B/F2 du 1/7 (les avions n° 312, 314 et 318) de la base aérienne 113 de Saint-Dizier ont posé leurs roues précisément le 12 mars 2007 à Douchanbé. 48 heures après, l’un d’eux effectuait son premier vol opérationnel au-dessus du territoire afghan armé de quatre bombes GBU-12. Quelques jours plus tard, le 28 mars, un Rafale M/F2 de la flottille 12F parti du porte-avions Charles-de-Gaulle devenait le tout premier Rafale à larguer des bombes en combat.
Il s’agissait ce jour-là de dégager des troupes hollandaises prises à partie par des éléments talibans. Le 1er avril, c’était au tour d’un Rafale B/F2 de l’EC 1/7 de tirer une GBU-12 contre un objectif ennemi : une grotte présumée abriter des Talibans dans la région de Helmand. Deux opérations qui ont réellement marqué le baptême du feu pour le nouveau Rafale F2.
En Afghanistan, les Mirage 2000D et les Rafale font partie des moyens de la coalition de l’Otan qui met enoeuvre pasmoins d’une soixantaine de chasseurs-bombardiers au total ; des avions qui se répartissent principalement entre A-10 et F-15E américains, Harrier GR.7 et 9 britanniques, F-16 de l’Otan et Tornado allemands, tous directement sur zone à Bagram, Kaboul, Kandahar et Mazar-é Charif, auxquels s’ajoutent aussi les appareils des aviations navales américaines et françaises opérant à partir des eaux internationales au large du Pakistan. Sans compter les bombardiers B-1B volant par rotations de vingt heures à partir de l’archipel des Chagos, plus au sud dans l’océan Indien. Conduites à partir du QG du Central Command américain à Al-Udaïd au Qatar, toutes les missions de la composante aérienne de l’ISAF/OEF (Opération Enduring Freedom) font l’objet d’une planification très réactive afin de permettre au mieux le soutien immédiat aux éléments terrestres déployés contre les Talibans sous la bannière de l’ISAF (Force internationale d’assistance à la sécurité) ainsi qu’aux forces spéciales alliées ou à l’ANA (Armée nationale afghane).
Les avions du détachement Serpentaire, pour leur part, agissent sous le contrôle du RepFrance « Air », désormais installé à Kaboul après avoir été, un temps durant, en place sur la base US de Bagram. Il s’agit là de l’autorité française la plus élevée agissant sur ce théâtre pour tout ce qui touche aux opérations aériennes, autorité sans l’aval de laquelle aucune frappe française ne peut être autorisée. À l’heure actuelle au nombre de près de 40 000 hommes (et femmes), les troupes alliées affectées au théâtre afghan proviennent de près d’une trentaine de pays. S’y ajoutent quelque 8 000 militaires américains moins visibles et placés sous commandement anglais. L’Otan est un élément essentiel de l’engagement de la communauté internationale en Afghanistan. Elle aide directement les autorités afghanes à instaurer la sécurité et la stabilité pour ouvrir peut-être un jour la voie à la reconstruction et à une gestion efficace des affaires du pays.
Cette mission est rendue difficile, toutefois, par la présence dans l’est montagneux du pays de « maquis » islamistes, infiltrés depuis le Pakistan, dont le but unique est de perpétuer la lutte contre le gouvernement de Kaboul, entamée à l’époque soviétique il y a plus de trois décennies déjà, et de restaurer l’Émirat taliban renversé à l’automne 2001, au besoin en contrôlant toutes sortes de trafics dont celui de l’héroïne est le plus problématique car soutenant toute une économie parallèle essentielle à la survie de nombreux paysans.
SHOW OF FORCE & CLOSE AIR SUPPORT
Avec l’aide des ravitailleurs Boeing C-135 du GRV 0/93 « Bretagne » ou de l’Otan, les Rafale assurent au quotidien le soutien aérien des forces alliées. Ils effectuent desmissions de présence, de démonstration de force (show of force) ou d’appui feu rapproché (CAS : close air support). Capable d’emporter six bombes guidées laser de type GBU-12, et avec une autonomie de vol supérieure à celle du Mirage 2000D, le Rafale F2 apporte une réelle plus-value au dispositif aérien Serpentaire.
Les premiers Rafale F2 envoyés par l’armée de l’Air sur le théâtre sont des biplaces. Quatre équipages complets de l’EC 1/7 sont présents à Douchanbé, compagnés d’une quarantaine de mécaniciens. De l’expérience même du lieutenant-colonel Louis Pena, chef du détachement, l’avantage d’un avion de combat biplace pour les missions air-sol n’est plus à démontrer. Largement validée sur Mirage 2000D durant le conflit des Balkans, la solution biplace est idéale pour les missions longues où deux paires d’yeux valent mieux qu’une seule. C’est aussi la solution retenue par les Américains sur les F-15E Strike Eagle et F-18D Hornet ou encore F-18F Super Hornet, également employés en Afghanistan. Grâce à l’OSF (optronique secteur frontal), à son radar RBE2, au système Spectra et à la Liaison 16, le Rafale permet de bien gérer la sécurité en vol et de disposer des meilleures informations jusqu’au moment du tir, lequel est toujours décidé par un poste de contrôleurs avancés (TAC-P ou JTAC) agissant au sol aux côtés des troupes en opération. Rafraîchies en permanence par liaison de données tactiques, les informations dont dispose la patrouille ne laissent aucun doute sur les cibles à traiter.
Accomplies en liaison radio cryptée constante avec les contrôleurs avancés au sol, les opérations de close air support sont en général conduites depuis une altitude qui met les Rafale hors de portée des différents types de missiles sol-air portables présumés existants sur le théâtre afghan. En réalité, il s’agit bien là de l’unique danger avec les bitubes ou quadritubes de 23 mm ex-soviétiques qui traînent encore partout en Afghanistan. Preuve de l’absence de toute menace de type air-air, les Rafale volent sans leurs habituels missiles Mica, ce qui allège d’autant la structure de l’avion chargée de plus de dix tonnes de carburant et de bombes au départ de chaque sortie.
UNE DISPONIBILITÉ OPÉRATIONNELLE PROCHE DE 100%
La nouvelle capacité de tir de bombes guidées laser GBU-12 Paveway II et GBU-22 Paveway III, initialement prévue pour 2008-2009 sur Rafale, a été avancée spécialement pour le déploiement en Afghanistan et dans un temps record. Cette performance est avant tout à mettre au crédit du Centre d’expériences aériennesmilitaires (CEAM) deMont - de- Marsan et du Centre d’expérimentation pratique aéronautique (CEPA) de la Marine nationale, en liaison, naturellement, avec Dassault Aviation. La campagne de qualification a étémenée de front pendant tout l’hiver, durant quatre mois et pratiquement 7 jours sur 7, tandis que se déroulait la réception de nouveaux Rafale sortis de chaîne à Bordeaux-Mérignac et alors que se poursuivait sur la base aérienne 113 de Saint-Dizier la transformation des pilotes et des mécaniciens nouvellement affectés à l’escadron. Une campagne de tir a été organisée à la fin du mois de février depuis la base aérienne 120 de Cazaux pour qualifier les équipages de l’EC 1/7 avant leur déploiement sur le théâtre afghan.
Tout ceci s’est fait sans à-coup, notamment grâce au fait que le râtelier tribombe AT730 de Rafaut, prévu pour les munitions AASM déjà intégrées sur Rafale, peut sans modification aucune recevoir aussi des GBU-12/22. Et aussi parce que la centrale armement du Rafale, gérée par le calculateur central MDPU, s’adapte à toutes les configurations requises par l’utilisateur en modifiant automatiquement le centrage de l’avion en fonction des munitions emportées.
La disponibilité opérationnelle du Rafale, en dépit des conditions très spartiates du DétAir, s’est pour l’instant avérée très bonne, proche des 100%. Aucune panne majeure n’a été signalée, ni sur les systèmes de l’avion ni sur lesmoteurs, et les pannesmineures ont été corrigées dans la journée. Le lieutenant-colonel Pena, également ancien desMirage 2000D, est à ce titre très satisfait du Rafale et du « plus » qu’il apporte aux opérations sur le théâtre afghan : « L’avion est fiable et remplit parfaitement sa mission. Cela augure bien pour l’armée de l’Air de ce que sera bientôt le Rafale dans la version F3, la plus aboutie. »
Normalement, les Rafale de l’EC 1/7 demeureront au Tadjikistan jusqu’à la fin de l’été 2007. Et les quatre équipages sur place seront relevés tous les deuxmois.
Pour un détachement ultérieur, il serait aussi question de déployer à Douchanbé troismonoplaces Rafale C/F2 de l’EC 1/7 afin de tester les capacités de l’avion en « mono ». Il est vrai que pour l’armée de l’Air la philosophie d’emploi du Rafale est encore ouverte et beaucoup reste à faire ou à découvrir.
Jean-Michel Guhl, journaliste aéronautique indépendant, Douchanbé, mai 2007